3ème DIVISION. - Irrégularités relevées dans la comptabilité communale et hospitalière. - Circulaire à MM. les Maires.
Nancy, le 15 Octobre 1889.
MESSIEURS,
L'inspection générale des finances, qui a vérifié cette année la comptabilité municipale et hospitalière dans le département de Meurthe-et-Moselle, a relevé un certain nombre d'irrégularités sur lesquelles M. le ministre des finances et M. le Ministre de l'intérieur viennent d'appeler mon attention.
Il a été constaté, notamment :
1° Que, pour éviter de recourir à des adjudications et
pour faire payer des travaux importants sur la production de simples mémoires,
les maires d'un certain nombre de communes fractionnent, en plusieurs paiements,
les dépenses de même nature, de façon que chacun des mandats n'excède pas
300 fr. ;
2°Que le même mandat comprend parfois des dépenses de
nature différente et concernant divers ouvriers ou fournisseurs. Le titulaire
du mandat l'acquitte seul et se charge, sans aucune justification, de remettre
à chacun ce qui lui revient. On peut ainsi payer des dépenses pour lesquelles
il n'y a pas de crédits ouverts, et l'on s'évite, en outre, la rédaction de
plusieurs mémoires et de plusieurs mandats ;
3° Que plusieurs maires ou secrétaires de mairie font des
recettes et acquittent même des dépenses directement. Ils versent ensuite les
reliquats au receveur municipal, avec un simple état servant de titre
d'encaissement;
4° Que le prix de vente des bois de futaie des coupes
affouagères, lorsque la répartition en est faite entre les habitants, figure
tantôt dans les recettes budgétaires, tantôt dans les services hors budget;
5° Enfin qu'un certain nombre de communes ajoutent au rôle
d'affouage, sans autorisation préalable, une somme variable, destinée à suppléer
à l'insuffisance de leurs ressources ordinaires.
En ce qui concerne le premier point, je crois devoir vous
rappeler, Messieurs, qu'aux termes de l'ordonnance du 14 novembre 1837, toutes
les entreprises pour travaux et fournitures, intéressant les communes et les établissements
publics doivent être faites avec concurrence et publicité. Les administrations
locales ne peuvent faire exécuter, sur les crédits ouverts à leur budget, et
sans autorisation préalable, que les travaux de réparation ordinaire ou de
simple entretien dont la dépense n'excède pas 500 fr. Le principe de
l'adjudication souffre toutefois quelques exceptions. Ainsi, il peut être traité
de gré à gré, avec l'autorisation du Préfet :
1° Pour les travaux et fournitures dont le prix n'excède
pas 3, 000 fr.;
2° Pour les objets dont la fabrication est exclusivement
attribuée à des porteurs de brevets d'invention;
3° Pour les objets qui n'auraient qu'un possesseur unique;
4° Pour les objets d'art et de précision dont l'exécution
ne peut être confiée qu'à des artistes éprouvés;
5° Pour des travaux et fournitures qui n'auraient pas été
l'objet d'aucune offre aux adjudications, ou à l'égard desquels il n'aurait été
proposé que des prix inacceptables;
6° Pour les fournitures et travaux qui, dans les cas
d'urgence absolue et dûment constatée, ne pourraient pas subir les délais de
l'adjudication.
Mais, dans tous les cas, le marché de gré à gré doit être
soumis à l'approbation du Préfet.
Je vous recommande expressément, Messieurs, d'avoir
toujours soin de vous conformer à ces prescriptions. Je suis
d'ailleurs bien résolu à refuser mon approbation aux mémoires
s'appliquant à des travaux ou à des fournitures qui s'élèveraient à plus de
300 fr. et qui n'auraient fait l'objet d'aucune adjudication ni d'aucun marché,
alors même que, pour éluder la loi, la dépense se trouverait scindée en
plusieurs mémoires, établis de façon que chacun d'eux n'excédât pas 300 fr.
Le fait de comprendre, dans un seul et même mandat, des dépenses
de nature différente et concernant plusieurs fournisseurs, constitue aussi une
irrégularité que l'administration ne saurait tolérer. Il doit être délivré
autant de mandats qu'il y a d'intéressés, et chaque mandat doit naturellement
étre appuyé d'un mémoire justificatif présenté par le véritable ouvrier
ou fournisseur. En procédant différemment, les municipalités seraient obligées
d'avoir recours à des mémoires fictifs, ce qui les exposeraient aux poursuites
prévues par l'article 155 de la loi du 5 avril 1884.
L'immixtion des maires et des secrétaires de mairie dans
le maniement des deniers communaux les expose aux mêmes poursuites, et
l'administration a affirmé, par plusieurs exemples récents, son intention
formelle de tenir la main, sur ce point, à ce que les prescriptions de la loi
ne fussent point méconnues. Le rôle du maire, en matière de comptabilité
communale, doit se borner à l'ordonnancement des dépenses de la commune, mais
le receveur municipal a seul qualité pour payer ces dépenses et pour effectuer
le recouvrement des revenus ( article 153 de la même loi).
La vente des bois d'affouage et la répartition du produit
de cette vente entre les habitants ont donné lieu, depuis quelques années, à
un certain nombre de difficultés. Dans certaines communes, cette double opération
est comprise, par le receveur municipal, parmi les autres opérations budgétaires;
ailleurs elle se trouve reportée dans les services hors budget. Il y a là une
anomalie qu'il importe de faire cesser, en appliquant la même règle à toutes
les communes.
Comme. M. le Ministre des finances, j'estime que le second
procédé n'est pas régulier, et qu'il y a lieu, de comprendre dans les
recettes budgétaires le produit de la vente des bois de futaie et des autres
bois impartageables des coupes affouagères. Il n'est nullement besoin,
d'ailleurs, pour en faire profiter les affouagistes, d'en opérer la répartition
entre eux comme il est d'usage de le faire dans un grand :nombre de communes ;
il est beaucoup plus simple et plus rationnel d'encaisser pour le compte de la
commune les ressources provenant de la vente, et de n'établir qu'ensuite le rôle
des redevances, dont le montant sera naturellement réduit d'autant. Cette
simplification aura en outre l'avantage de mettre fin aux contestations qui se
sont parfois élevées entre les municipalités et les receveurs, au sujet des
remises réclamées par ces derniers pour l'encaissement et la répartition du
produit des ventes de l'espèce.
Je crois devoir enfin vous rappeler, Messieurs, qu'il ne
doit être imposé, sur les affouages, d'autres charges que celles qui sont énumérées
dans l'arrêté préfectoral applicable à chaque coupe. Si le conseil municipal
croit devoir augmenter ou diminuer la somme imposée à raison de l'insuffisance
des revenus communaux, cette modification doit toujours faire l'objet d'une délibération
spéciale dont une copie doit être adressée à la Préfecture ou à la Sous-Préfecture,
suivant le cas, dans le délai fixé par l'article 62 de la loi du 5 avril 1884.
Je vous prie de bien vous pénétrer des observations qui
précèdent, et de vous y conformer ponctuellement.
Recevez, Messieurs, l'assurance de ma considération très
distinguée.
Le Préfet, Léon STEHELIN
Document mis à jour le 01-01-2004