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1832 - Les émeutes de la faim (1er Bureau.) CIRCULAIRE à MM. les Sous-Préfets et Maires du département, concernant l'envoi d'une lettre de Monsieur le Ministre du commerce et des travaux publics, relative aux subsistances.Nancy, le 16 juin 1832.
Messieurs,
Je m'empresse de vous adresser une lettre de M. le Ministre du commerce et des travaux publics, relative aux subsistances. Je ne saurais trop vous presser de la lire avec une scrupuleuse attention : elle contient, sur cette question importante, des principes qui nous serviront de guides pour l'avenir.
Vous y trouverez, en outre, la certitude rassurante que nous touchons à la fin prochaine des embarras suscités par la hausse des grains. Tous les renseignemens qui viennent se centraliser entre les mains de M. le Ministre du commerce et des travaux publics, prouvent que jamais les récoltes ne se sont présentées en France sous des apparences plus favorables ; et cette circonstance, jointe à des arrivages considérables dans nos ports et sur nos frontières, a déjà déterminé une baisse sensible sur plusieurs points du royaume.
Du reste, en attendant l'époque prochaine où les grains seront descendus dans votre commune au cours ordinaire de leur valeur, ne négligez rien pour favoriser leur libre circulation. La moindre gêne à cet égard ne ferait qu'ajouter aux embarras du moment, en excitant la défiance des propriétaires et en mettant ainsi un obstacle funeste à l'approvisionnement des marchés.
Recevez, Messieurs, l'assurance de ma considération distinguée.
Le Préfet du département de la Meurthe,
L. ARNAULT.
Paris, le 14 juin 1882.
Ministère du commerce et des travaux publics.
« MONSIEUR LE PRÉFET, la prochaine récolte des céréales s'annonce sous les apparences les plus favorables : une température
propice semble garantir que ces espérances seront bientôt réalisées; rarement les avis ont été aussi unanimes sur ce point.
Suivant l'opinion générale, l'espoir d'une abondante moisson dans toute la France peut être considérée comme une certitude.
Si , dans le peu de semaines qu' il nous reste à passer d' ici à la récolte, certains départemens ont à subir des prix élevés, c' est la conséquence inévitable de la médiocrité des récoltes précédentes; mais le mal ne peut s'aggraver ni se prolonger.
D' abord ce n'est pas contre la disette que j'aurais à vous rassurer. A proprement parler, il n' y a disette nulle part. Chacun reconnaît que si le grain n'est pas abondant, il ne manque pas absolument; or, pour peu qu'il en existe à cette heure, il doit suffire à des besoins dont la durée est très-limitée.
L'importation des grains étrangers a procuré de très-grands secours ; ils se renouvellent par des arrivages journaliers. Non-seulement ils alimentent le littoral et les frontières, mais les arrivages de la méditerranée remontent jusqu'à Lyon, et par là ils diminuent la concurrence sur les marchés du centre de la France. La loi du 15 avril dernier a été sous ce rapport d'une très-grande utilité.
Il est fort simple que, selon les localités, les grains soient plus ou moins abondans, et les cours plus ou moins élevés: naturellement ou vient des pays où les grains sont plus chers ou demander dans ceux où ils sont à meilleur compte. Mais, dans quelques marchés, ces acheteurs, venus d'autres parties de la France, ont été parfois accueillis avec défiance. La crainte de se voir dégarnir de grains s'est propagée malheureusement dans certaines régions, et ces préventions ont été suivies de désordres bien préjudiciables pour les pays qui en ont été le théâtre. En effet, le cultivateur et le marchand ne retournent point à un marché où la propriété n'est pas respectée, où les acheteurs et les vendeurs sont menacés, et où des attroupemens coupables réclament une fixation arbitraire du prix des blés.
Dans ces circonstances, l'autorité a fait son devoir, et je n'ai pas besoin d'insister pour vous rappeler la nécessité de réprimer ces attentats et ces violences par tous les moyens que la loi met à votre disposition. La circulation des subsistances et la liberté des transactions seront efficacement protégées par le concours de toutes les autorités; mais ce que je dois surtout vous faire remarquer ici, c'est, que, si les prix se sont élevés au-delà de ce que les besoins véritables comportaient, c'est précisément par l'effet des inquiétudes qu'ont inspirées quelques troubles partiels. L'expérience a prouvé que ces terreurs paniques peuvent quelquefois produire une disette factice là où il existe des ressources réelles.
L'époque de la moisson y qui s'approche rapidement, porte en elle-même le remède contre ces alarmes mal fondées. Il est impossible, à la veille de la récolte, que les détenteurs de graine ne sentent pas que la hausse est parvenue à son maximum, que la baisse est imminente, et qu'il leur importe de se hâter de profiter des prix actuels pour écouler tout ce qu'ils peuvent avoir conservé de grains. Déjà cet effet se produit dans un assez grand nombre de lieux. La correspondance que donne au public l'Écho des halles et marchés (feuilles des 10 et 12 juin) fait connaître en combien de marchés à la fois ce motif déterminant arrête la hausse et fait rétrograder les prix. Mais il ne suffit pas de veiller au maintien du bon ordre, il faut s'abstenir encore de réclamer ou de chercher à mettre en pratique des mesures impossibles à réaliser avec succès, et qui seraient de nature à produire beaucoup de mal.
Voici les principales réclamations qui sont adressées au Gouvernement à l'occasion des subsistances:
Tantôt on demande que des blés soient envoyés dans tel département, soit pour l'approvisionner, soit seulement pour y faire baisser les prix du commerce, en donnant la denrée au-dessous du cours; d' autres fois, on voudrait que le Gouvernement engageât le commerce à approvisionner de préférence tel ou tel point ; enfin , dans des intentions louables , mais irréfléchies, on sollicite l' autorisation de faire des achats de grains pour le compte des communes , par les mains de leurs magistrats, et mérite d'établir des magasins de réserve.
Ces demandes n'ont et ne peuvent avoir de résultat. Le Gouvernement n'a pas de grains à sa disposition ; il ne peut ni n'en doit avoir, car il ne pourrait devenir acheteur ni vendeur sans susciter au commerce une concurrence qui paralyserait l'action des spéculateurs. L'administration n'a aucun moyen d'envoyer des blés dans toute la France, et il est évident qu'elle ne peut fournir des subsistances à un département ou à une commune, de préférence, peut être au préjudice des autres. Elle n'a ni fonds ni crédits législatifs pour une semblable destination.
Elle n'a pas le droit d'imposer aux commerçans des spéculations qu'il ne serait ni dans leurs intentions ni dans leur intérêt d'entreprendre. Ce sont les besoins des consommateurs, qui appellent les expéditions du vendeur.
Enfin, les achats que feraient les communes auraient les mêmes inconvéniens et de plus grands encore que ceux qu'on réclame du Gouvernement: car, si la concurrence du Gouvernement porte obstacle à tout commerce, qu'arriverait-il si cette même concurrence se multipliait à l'infini ? Si chaque municipalité opérait des achats, et, mettant l'enchère sur tous les marchés, renchérissait les grains partout à la fois ? Une déplorable expérience en fut faite en 1816 et 1817. L'Administration supérieure se refuse donc, avec raison, à l'approbation de mesures destructives du commerce, ruineuses pour les communes et qui y aggravent le sort des consommateurs.
Quel temps plus mal choisi, d' ailleurs, que celui-ci pour opérer de pareils approvisionnemens ! car s'il s'agit de mettre immédiatement des blés sur le marché pour les livrer au consommateur, l' intervention de l' autorité est inutile ; et si l' on entend fournir une réserve de précaution pour le besoin à venir, c' est un faux calcul que de retirer de la consommation actuelle des grains qui lui sont nécessaires , afin de les resserrer pour la consommation à venir , et cela en présence d' une récolte qui sera réalisée dans un bref délai.
J'ai cru devoir, Monsieur le Préfet, vous rappeler, en cette occasion, les principes qui régissent cette matière importante, et vous inviter à les répandre, les rendre familiers aux autorités locales. Protéger la propriété, la liberté du commerce et de ses transactions, réprimer les désordres avec fermeté, éclairer les hommes de bonne foi, c'est le devoir de l'administration; son action ne peut ni ne doit s'étendre davantage. Au surplus, chaque jour, en rapprochant l'époque de la moisson, rend cette tâche plus facile.
Recevez, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma considération la plus distinguée.
Le Pair de France, Ministre Secrétaire d'état au département du Commerce et des Travaux publics,
Signé Cte. D'ARGOUT.
Pour expédition,
Le Maître des requêtes Chef de la 2ème division.
Document mis à jour le 01-02-2004 |